le monde selon MONSANTO

Publié le par Camille

LE MONDE SELON MONSANTO


11/03/08 - interview (1 réaction)

"Les OGM de Monsanto sont faits pour vendre du Round-up"

m_m_robin.JPGMarie-Monique Robin, journaliste récompensée par le prix Albert Londres, auteur de nombreux documentaires en Amérique latine, elle publie un livre et un documentaire "évènement" diffusé sur Arte, "Le Monde selon Monsanto".

Pourquoi enquêter sur Monsanto ?

A l'occasion des trois films que j'ai déjà réalisés pour Arte sur la biodiversité, partout dans le monde, je me heurtais à Monsanto. C'était donc devenu une évidence pour moi de m'intéresser à cette entreprise leader mondial des OGM dans le monde et dont je savais qu'elle avait fabriqué l'agent orange de la guerre du Vietnam.

L'idée du projet était de savoir si on peut faire confiance à cette firme, qui est la plus controversée de l'histoire industrielle avec les OGM, mais aussi les PCB, le fameux pyralène en cause dans la pollution actuelle du Rhône.

Comment expliquez qu'une firme aussi controversée soit toujours aussi prospère aux Etats-Unis et dans le monde ?

C'est justement l'un des points centraux de mon livre et de mon film. Monsanto est très fort dans ce que l'on appelle aux Etats-Unis les « revolving doors » c'est à dire les portes tournantes ou chaises musicales.

Dans mon ouvrage je fais état d'une cinquantaine d'anciens cadres de Monsanto qui ont été recrutés par la FDA (Food Drug Administration, organisme américain de contrôle des denrées alimentaires et des médicaments, chargé notamment d'autoriser la commercialisation des produits sur le territoire américain - NDLR), par l'EPA (l'agence de protection de l'environnement- NDLR), ou le secrétariat à l'Agriculture.

Je cite le nom de Donald Rumsfeld, nommé en 2001 à la tête du Pentagone par George W.Bush, poste qu'il occupera jusqu'en 2006. Donald Rumsfeld est l'ancien PDG de Searle, la filiale pharmaceutique de Monsanto, à l'origine de la mise sur le marché du Nutrasweet, un édulcorant fortement controversé. Ann Veneman, ancienne ministre américaine de l'agriculture et aujourd'hui directrice exécutive de l'Unicef est une ancienne directrice d'une filiale de Monsanto. Le n°2 de la FDA qui a rédigé la réglementation sur les OGM est un ancien avocat de Monsanto, qui est ensuite devenu vice-président de Monsanto, etc….

Ce système a également cours à l'OMS, à l'OCDE, ils sont absolument partout. C'est un système qui ne caractérise évidement pas seulement Monsanto mais tous les interlocuteurs américains que j'ai rencontré reconnaissent qu'ils sont très forts en la matière.

Des anciens cadres de Monsanto sont donc à des postes clés de l'administration américaine ?

Tout à fait, il ne s'agit pas de simple lobbying, c'est beaucoup plus que cela, ils occupent effectivement les places clés. Un des juges de la cour suprême américaine est tout de même un ancien avocat de Monsanto. Le n° 2 de l'OMC était un ancien cadre de Monsanto. Par ailleurs un des textes les plus controversés de l'OMC, celui des « accords triples », a été rédigé par Monsanto lui-même.

Comment la firme américaine a réagi à votre enquête ?

De nombreux journalistes ont tenté de joindre Monsanto suite à la sortie de mon ouvrage et personne de chez eux ne souhaite faire de commentaire. Quant à la réalisation du documentaire, ils n'ont pas souhaité y participer. Je les avais contactés mais ils ont refusé d'apparaitre dans mon enquête.

Personnellement, comment vous situez-vous par rapport à la problématique OGM ? Etes-vous contre les OGM ou contre Monsanto ?

Je ne suis contre rien du tout, je m'interroge juste. Je ne m'étais jamais préoccupée des OGM, je suis pourtant fille d'agriculteur. Je pensais qu'il n'y avait pas de problème, j'avais lu comme tout le monde qu'il ne s'agissait que d'un gène de plus, et alors… Cependant, quand vous commencez à travailler sur la question comme j'ai eu l'occasion de le faire pour mes reportages précédents, vous vous rendez vite compte que le principe d'équivalence en substance qui est la base de la réglementation mondiale sur les OGM fut une décision politique ainsi que l'affirme James Maryanski, qui dirigeait le département biotechnologie à la FDA.

Ce principe n'a donc été établi sur aucune base scientifique, il ne s'agit que d'une décision politique de la Maison Blanche prise pour favoriser le développement et la mise sur le marché des OGM. Ce principe consiste à considérer qu'un soja transgénique est à priori équivalent à un soja conventionnel donc, à partir du moment où ils sont équivalents, on ne fait pas de test. On découvre alors que le soja « Round Up ready » par exemple, manipulé pour résister au Round-up de Monsanto a été mis sur le marché sans aucun test préalable.


http://www.enviro2b.com/environnement-actualite-developpement-durable/8589/article.html
Extrait: Le Monde selon Monsanto (1)


L’affaire de l’hormone de croissance bovine (1):
la Food and Drug Administration sous influence

"Comme la composition chimique du lait n’est pas altérée par l’usage
du Posilac, ses propriétés et son goût ne changent pas."

Site Web de Monsanto.

"Cette affaire fut une véritable descente aux enfers… J’étais entré à la Food and Drug Administration [FDA] en pensant œuvrer pour le bien de mes compatriotes, et j’ai découvert que l’agence avait trahi son rôle de gardien de la santé publique pour devenir le protecteur des intérêts des firmes industrielles." Quand je le rencontre à New York, le 21 juillet 2006, près de vingt ans après l’"affaire", le docteur Richard Burroughs a toujours du mal à en parler. "Trop douloureux, lâche-t-il, la gorge serrée, à chaque fois que je l’évoque, c’est comme si le sol se dérobait à nouveau sous mes pieds et que j’allais disparaître avec lui. C’est très difficile d’admettre encore aujourd’hui que j’ai été licencié de la célèbre FDA, parce que je m’opposais à la mise sur le marché d’un produit que j’estimais dangereux! C’était pourtant cela ma mission!"

À observer le désarroi du docteur Burroughs, je repense à Cate Jenkins, la scientifique de l’EPA qui avait rédigé un rapport questionnant la validité des études de Monsanto sur la dioxine, à William Sanjour (voir supra, chapitre 2) et à tous ceux que nous allons rencontrer au fil de ces pages: Shiv Chopra, de Health Canada, Arpad Pusztai du Rowett Institute, Ignacio Chapela de l’université de Berkeley, ou les journalistes Jane Akre et Steve Wilson. Tous ont en commun cette voix qui s’étrangle, dès qu’ils commencent à évoquer leur expérience de whistleblower. À ce titre, l’histoire de Richard Burroughs constitue un cas d’école.

"Viré pour incompétence"

Ce vétérinaire, diplômé de l’université Cornell, a d’abord travaillé comme praticien libéral dans l’État de New York, où ses parents exploitaient un troupeau de vaches laitières. "J’adore les vaches, dit-il, avec un sourire qui illumine subitement son visage de sexagénaire. C’est pour elles que j’ai choisi ce métier!" En 1979, il est recruté par la Food and Drug Administration, qui lui propose une formation en toxicologie. "J’ai accepté de quitter ma campagne natale pour Washington, car pour moi c’était vraiment le must!" Pour lui, et pour le reste du monde. Qui n’a pas entendu, au moins une fois dans sa vie: "Le produit a été autorisé aux États-Unis, c’est donc qu’il n’y a pas de problème." Autorisé par qui? Par la FDA justement.

Créée officiellement en 1930, l’agence est chargée de l’autorisation de mise sur le marché des produits alimentaires ou pharmaceutiques destinés à la consommation humaine ou animale. Sa bible, c’est le Food Drug and Cosmetic Act, signé par le président Theodore Roosevelt en 1938. Un texte contraignant, où la FDA puise son autorité, qui se voulait une réponse à un drame national: un an plus tôt, une centaine de personnes étaient décédées après avoir ingéré de l’élixir de sulfanilamide, un médicament fabriqué avec un solvant qui se révéla mortel. Le Food Drug and Cosmetic Act exigeait que tout produit contenant des substances nouvelles soit à l’avenir préalablement testé par les entreprises et soumis à une autorisation préalable de la FDA, avant sa mise sur le marché. En 1958, le texte a été complété par l’"amendement Delaney1" qui stipule que si un produit présente le moindre risque cancérigène, celui-ci ne doit pas être homologué. Dans tous les cas, il est important de noter que l’agence ne réalise pas elle-même d’études toxicologiques, comme des essais sur les animaux, mais qu’elle se contente d’examiner les données fournies par les fabricants.

C’est ainsi qu’en 1985, le docteur Burroughs, qui travaille dans le Centre de médecine vétérinaire (CVM) de la FDA, reçoit la mission d’analyser la demande d’autorisation de mise sur le marché d’une hormone de croissance bovine, la somatotropine (BST), fabriquée par manipulation génétique par Monsanto2 et destinée à être injectée aux vaches deux fois par mois pour augmenter leur production laitière d’au moins 15 %. "Pour le CVM, c’était un produit tout à fait révolutionnaire, explique Richard Burroughs, car c’était le premier médicament transgénique que nous avions à étudier."

La somatotropine est une hormone naturelle que secrète abondamment l’hypophyse des vaches après un vêlage et qui stimule la lactation, en permettant la mobilisation des réserves corporelles de l’animal grâce à une action sur ses tissus. Depuis que sa fonction avait été décrite par des scientifiques soviétiques en 1936, les laboratoires liés à l’agro-industrie avaient essayé de la reproduire pour accroître le rendement des cheptels. En vain: il fallait sacrifier vingt vaches par jour afin de composer à partir de leurs hypophyses la dose journalière d’hormone laitière requise pour un seul animal... À la fin des années 1970, des chercheurs financés par Monsanto sont parvenus à isoler le gène qui produit l’hormone. Ils l’ont introduit par manipulation génétique dans une bactérie Escherichia coli (ou "colibacille", bactérie commune qui peuple la flore intestinale des mammifères, y compris de l’homme), permettant ainsi sa fabrication à grande échelle. Cette hormone transgénique a été baptisée par Monsanto recombinant Bovine Somatotropin (rBST), ou recombinant Bovine Growth Hormone (rBGH)3. Dès le début des années 1980, la firme organise des essais dans des fermes expérimentales lui appartenant ou en collaboration avec des universités comme celle du Vermont ou de Cornell.

"Le dossier fourni par Monsanto était aussi haut que moi, m’explique Richard Burroughs, lequel mesure un bon mètre quatre-vingt... Or, le règlement de la FDA nous impose de ne pas dépasser un délai de cent quatre-vingt jours pour analyser les données. En fait, c’est une technique des entreprises pour décourager un examen minutieux: elles envoient des tonnes de papier en espérant que vous vous contenterez de les survoler. J’ai très vite compris que les données ne visaient qu’à prouver que la rBGH dopait effectivement la production laitière. Les scientifiques travaillant pour Monsanto ne s’étaient pas du tout intéressés à des questions cruciales: qu’est-ce que cela signifie physiologiquement pour les vaches de produire du lait au-delà de leur capacité naturelle? Comment va-t-il falloir les nourrir pour qu’elles survivent à cet exploit? Quelles maladies cela peut-il provoquer? Ils n’avaient même pas pensé que les vaches allaient à coup sûr développer des mammites, c’est-à-dire des inflammations des pis, une pathologie courante dans les troupeaux à haut rendement.

– Et la mammite constitue aussi un problème pour le consommateur?

– Bien sûr, car elle se traduit par une augmentation des globules blancs, c’est-à-dire qu’il y a du pus dans le lait! Il faut traiter les vaches avec des antibiotiques, qui peuvent rester sous forme de résidus dans le lait. Donc, tout cela est très sérieux… De plus, il faut comprendre que l’hormone transgénique bouleverse le cycle naturel de la vache. Normalement, celle-ci se met à produire de la somatotropine, après un vêlage, ce qui lui permet de nourrir son petit. Au fur et à mesure que le veau grandit, la sécrétion de l’hormone ralentit, pour s’arrêter définitivement. Pour relancer la production laitière, il faut donc que la vache ait un nouveau veau. La rBGH permet de maintenir artificiellement la fabrication de lait au-delà du cycle naturel. C’est pourquoi elle peut poser des problèmes de reproduction pour la vache, et donc entraîner un préjudice financier pour l’éleveur. Quand j’ai vu que toutes ces données manquaient, j’ai demandé à Monsanto de revoir sa copie, ce qui a pris deux à trois ans, car pour que l’étude soit valable, il fallait suivre l’évolution des vaches sur au moins trois cycles…

– Et quels furent les résultats des nouvelles études?

– D’abord, je dois dire qu’elles étaient d’une très faible qualité scientifique! Par exemple, si vous voulez mesurer l’impact de l’hormone transgénique sur les mammites, il faut déterminer dans chaque élevage un groupe de vaches traitées avec l’hormone, et un groupe contrôle sans traitement qui sera strictement élevé dans les mêmes conditions que le premier. Or, Monsanto avait dispersé les vaches traitées et non traitées entre différents sites expérimentaux, en mélangeant ensuite tous les résultats. J’ai été obligé encore une fois de corriger le tir. De même, je me souviens d’une visite surprise que j’avais effectuée dans l’un de leurs laboratoires censé analyser l’effet de l’hormone sur les organes et les tissus des vaches: j’ai découvert que des reins avaient disparu! Malgré tous ces défauts techniques, il ressortait clairement des études que la fréquence des mammites était beaucoup plus élevée…

Avez-vous averti vos supérieurs de la FDA?

– Oui, me répond le docteur Burroughs, dans un premier temps, ils ont réagi correctement…"

De fait, un document daté du 4 mars 1988 atteste que Richard P. Lehmann, directeur de la Division de la production de médicaments au CVM, a transmis les inquiétudes de son agent à Terrence Harvey, de Monsanto4: "Nous avons examiné votre demande et la trouvons incomplète, écrit-il. Les tests sont insuffisants. […] Vous n’avez pas clairement identifié l’incidence clinique des mammites dans les troupeaux testés. […] Vous devriez clarifier quels traitements vous allez utiliser pour soigner les mammites. […] Nous vous rappelons que l’usage de la gentamicine et de la tétracycline n’est pas autorisé pour le traitement des mammites dans les troupeaux laitiers. […] Vous avez compromis l’utilité de vos données sur la reproduction en utilisant de la progestérone et des prostaglandines. Il n’est pas possible d’évaluer les effets de la somatotropine bovine sur la reproduction si simultanément des essais avec d’autres hormones reproductives masquent ou altèrent les effets du médicament." Enfin, concernant l’étude toxicologique conduite sur des rats, le responsable du CVM est cinglant: les rats étudiés sont trop peu nombreux (sept), il n’y a que des femelles, la durée de l’étude est trop courte (sept jours) et les doses ingérées par les cobayes trop faibles...

C’est à partir de ce courrier que commence la descente aux enfers du docteur Burroughs. "Subitement, j’ai été mis sur la touche, raconte-t-il. On m’a bloqué l’accès aux données que j’avais moi-même demandées, jusqu’à ce que je sois complètement dépossédé du dossier. Et puis le 3 novembre 1989, mon chef m’a raccompagné à la porte, c’était fini pour moi…

– Vous avez été licencié?

– Oui, pour incompétence", murmure Richard Burroughs.

Le vétérinaire porte plainte contre la FDA pour licenciement abusif. Il gagne en première instance, l’agence fait appel, mais elle est finalement condamnée à réintégrer son agent. "J’ai été muté à la division porcine, commente-t-il. Je ne connaissais rien aux cochons! À tout moment, je pouvais commettre une faute grave, alors j’ai préféré démissionner. Ce fut une période très noire… Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’étais ruiné, car les procès m’avaient coûté très cher et je n’avais pas de travail. Heureusement qu’il y avait ma femme et mes deux enfants…"

– Est-ce que vous avez été menacé?

– Euh… Physiquement? Je ne préfère pas en parler… Moralement, oui. Lors de mon procès en appel, les avocats de Monsanto ont menacé de me poursuivre si je révélais des informations confidentielles concernant la rBGH. C’est typique de Monsanto…

– Pensez-vous que la FDA a été trompée par Monsanto?

– “Trompée” n’est pas le mot juste, car il signifie que cela se serait passé à son insu. Non, l’agence a sciemment fermé les yeux sur des données dérangeantes, parce qu’elle voulait protéger les intérêts de la société, en favorisant au plus vite la mise sur le marché de l’hormone transgénique"…


 

1 Du nom du député démocrate de New York James Delaney (1901-1987), lequel se retournerait à coup sûr dans sa tombe s’il pouvait lire ces pages…

2 Dans les années 1970, trois autres sociétés ont réussi à fabriquer l’hormone transgénique: Elanco, une filiale d’Eli Lilly, UpJohn et American Cyanamid. Mais finalement seule Monsanto restera en course.

3 Aujourd’hui, les deux termes sont utilisés, mais pas par les mêmes personnes: soucieuse de gommer le fait que son produit est une hormone artificielle, Monsanto parle exclusivement de "rBST" ; quant aux opposants, ils emploient "rBGH"…

4 Terrence Harvey a fait toute sa carrière à la FDA, où il dirigea notamment le CVM, avant de partir pantoufler chez... Monsanto, comme directeur des affaires réglementaires.

Publié dans LIVRES A VOIR

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